LE SYSTÈME PÉNAL ESPAGNOL : LES ENJEUX ET LES
PRINCIPALES RÉFORMES EN COURS AU SERVICE D´UNE JUSTICE EFFICACE ET D´UN PROCÈS
PÉNAL ÉQUITABLE
Sergio Herrero Alvarez
(Avocat)
Communication
au forum “Procés pénal et procés équitable: etude comparative du systeme libanais et des systémes européens”. Ordre des Avocats de Beyrouth.
Líbano, 2 de julio de 2010
L’objet de la présente intervention est d’offrir une vue
d’ensemble du système pénal espagnol. J’aborderai, dans cet esprit, quatre
aspects différents : l’évolution récente du Code Pénal espagnol, une
description schématique de la réglementation actuelle de la procédure pénale,
la principale nouveauté récemment apportée à cette réglementation et, pour
finir, deux idées d’éventuelles réformes procédurales pour l’avenir.
A) L’ÉVOLUTION DU SYSTÈME
PÉNAL ESPAGNOL DEPUIS
Reportons-nous, pour commencer, quelques années en arrière :
nous sommes le 31 décembre 1975. Le Chef d’État précédent, Francisco Franco,
est décédé quelques jours auparavant, le 20 novembre ; son régime a pris
fin. Les prisons espagnoles comptent 8.440 détenus. Certains d’entre eux ont
été enfermés pour des raisons politiques.
Trente-quatre ans plus tard, ce chiffre est neuf fois
supérieur : le nombre des prisonniers qui, au 31 décembre 2009, peuplaient
nos prisons s’élève à 76.090. Un maximum historique. Un nouveau record qui
s’ajoute à ceux, inexorables, de chacune des années de cette décennie. Ils
étaient plus de 61.000 en 2005, plus de 64.000 en 2006, plus de 67.000 en 2007
et plus de 73.000 en 2008.
Ce sont des chiffres surprenants. D’autant que cette
augmentation de la population carcérale ne correspond pas à une augmentation du
nombre des délits commis : l’Espagne connaît un taux de criminalité (nombre de
délits pour 1.000 habitants) inférieur à la moyenne des états de l’Union
Européenne mais elle a en revanche le taux le plus élevé d’incarcérations
(personnes emprisonnées pour 100.000 habitants).
Que s’est-il donc passé ? La loi a-t-elle changé ?
Au début de la transition démocratique espagnole, le Code
Pénal en vigueur était le code du régime franquiste, publié en 1973.
Pendant 20 ans, de 1975 à 1995, ledit Code Pénal est
maintenu et des réformes partielles successives y sont apportées, dont
certaines touchent aux articles afférents aux délits de trafic de drogues dont
les peines sont progressivement élevées par les modifications de 1983 et de
1988.
À la fin de l’année 1995, un nouveau Code Pénal est promulgué, avec
l’accord des forces politiques majoritaires qui lui donnent le nom de Code
Pénal de la démocratie ; il entre en vigueur le 25 mai 1996.
À l’époque, le Parti Socialiste est au pouvoir. Il
qualifie le nouveau Code de “ changement
de culture, voire de changement de civilisation ”. De son côté, le Parti Popular
(parti de l’opposition de centre-droite), sans pour autant se détacher de
l’enthousiasme généré, avertit des effets négatifs que peut avoir le nouveau
corpus de règles : “ 13.000 prisonniers
vont être mis à la rue ” du fait de l’application rétroactive obligatoire
des règles pénales plus favorables.
Deux ans
plus tard, cet enthousiasme, tout comme cette préoccupation, sont dissipés.
En ce qui
concerne les sorties de prison redoutées, la comparaison – au cas par cas – du
temps d’incarcération prévu par l’ancien Code dérogé et de celui qu’instaure le
nouveau, porte ses fruits : le nombre des
détenus mis en liberté du fait de l’application rétroactive du nouveau
texte légal est inférieur à 1.000. Hormis des exceptions quasi anecdotiques,
dans la plupart des cas, le Code de 1973
s’avérait être plus favorable en termes de durée effective du séjour en prison.
Le résultat
apparaît clairement : avec le nouveau Code, la durée réelle des séjours en
prison des personnes condamnées est plus longue.
Un regard rapide sur les peines correspondant aux
délits les plus fréquents le prouvent. Les vols sont dorénavant plus durement
punis, en temps réel d’accomplissement des peines de prison, qu’il s’agisse de
vols qualifiés ou de vols avec violence ou intimidation, à main armée ou pas.
Les délits de trafic de drogues sont également plus sévèrement sanctionnés. Ce
sont là les deux types d’infractions pour lesquelles 70–80 pour cent des
prisonniers de toute l’Espagne sont enfermés.
Après l’entrée en vigueur du nouveau Code, le calme
législatif ne dure guère plus de deux
ans. Dès 1998, une course effrénée aux réformes partielles est lancée, au point
que l’on atteint, en six ans, un total de quinze modifications légales. La
grande majorité des nouveautés contribuent à durcir la réglementation dans
différentes matières partielles du Code, et l’accomplissement des peines
pénitentiaires prévues par celles-ci.
La dernière de ces quinze réformes du texte entre en
vigueur le 1er octobre 2004 et modifie presque un tiers du Code Pénal (plus de
200 articles), entraînant un nouveau durcissement du traitement punitif de
certains délits dont, en particulier, les faits constitutifs de violence
familiale.
Partant de
là, dans la période qui va de 2004 à nos jours, le flux des modifications
apportées au Code garde un débit considérable, dans le sens toujours de
l’augmentation des peines imposées aux conduites illicites et en particulier
dans les domaines de la violence dite de genre et des infractions contre
la sécurité de la circulation automobile.
L’évolution
législative récente témoigne en somme de l’emploi réitéré, avec le soutien de
la plupart des partis politiques, de règles pénales durcies, comme autant d’outil omniprésents de l’intervention de l’État.
En guise
de conclusion : plus de délits, plus de peines, plus de détenus, plus
longtemps.
B)
La procédure pénale espagnole commence le plus souvent par
une phase pré-judiciaire d’intervention de la police qui reçoit les plaintes et
commence à enquêter (partant d’une plainte ou sans elle) sur les délits dont
elle a appris l’existence.
Ce travail policier peut donner lieu à l’identification ou à
l’arrestation (selon la gravité des faits enquêtés) des personnes
raisonnablement suspectées d’être les responsables dudit délit.
Dès cet instant, les règles légales régissant l’arrestation
et garantissant les droits de l’individu arrêté s’appliquent. Nous pouvons les
résumer comme suit :
1. La personne placée en garde à vue doit être immédiatement
informée par la police des faits qui lui sont imputés et qui ont provoqué son
arrestation, ainsi que des droits qui l’assistent légalement.
2. La personne placée en garde à vue a le droit de demander
à la police d’informer la personne de son choix de son arrestation et de
l’endroit où elle se trouve, mais elle n’a pas le droit de procéder
personnellement à cette communication téléphonique.
3. La personne placée en garde à vue a le droit de désigner un
avocat qui l’assistera lors de sa déclaration à la police ; si elle ne le
fait pas, elle a le droit à l’assistance d’un avocat commis d’office.
4. La personne placée en garde à vue est libre de faire une
déclaration ou de garder le silence devant la police puisqu’elle peut invoquer
son droit à ne pas déclarer. Elle peut parler ou se taire, et, si elle prend la
décision de déclarer, elle n’est pas légalement tenue de dire la vérité
5. La durée totale de la garde à vue, évaluée à partir du
moment où la personne est physiquement appréhendée par les forces de l’ordre et
le moment où elle est physiquement remise à l’autorité judiciaire, ne peut
dépasser les 72 heures.
La
totalité de l’intervention policière est consignée dans un dossier (nommé
« atestado », en espagnol) remis, avec la personne placée en garde à
vue, au Juge d’Instruction. La phase policière prend ainsi fin et cède le pas à
la phase judiciaire de la procédure.
La procédure judiciaire commence par une phase d’instruction
qui n’a, conformément aux textes légaux, ni durée établie, ni durée maximale.
Pendant cette étape, le Juge d’Instruction auditionne la personne mise en
examen qui fait l’objet de la procédure, il décide de son incarcération, en
situation de détention provisoire, ou de sa mise en liberté provisoire pour –
sur une période pouvant aller de quelques mois à peine, à quelques années –
procéder à toutes les actions et preuves jugées nécessaires à l’élucidation des
faits réellement survenus et à l’identification des responsables.
La phase d’instruction peut prendre fin si la décision
judiciaire est prise de classer l’affaire parce que les faits survenus ne sont
pas constitutifs de délit ou parce que l’identité du responsable des faits
n’est pas suffisamment établie. Dans une autre hypothèse, l’étape suivante est
franchie, qui consiste en la rédaction, par les parties poursuivantes, d’un
document décrivant exactement les faits qui font l’objet de l’accusation et
leurs auteurs, précisant la qualification juridique de ces faits et les peines
réclamées contre les accusés. Ledit document devra également mentionner les
preuves que les parties poursuivantes proposent de présenter lors de la
procédure orale.
Ce dossier complet est ensuite remis à l’avocat de la
défense qui rédigera le document correspondant, dans lequel il devra fixer sa
position procédurale, selon que son client se déclare coupable ou innocent,
demander l’absolution ou une condamnation (évidemment plus réduite que celle
que réclament les parties poursuivantes) et proposer ses preuves pour la
procédure orale.
La procédure orale se déroulera ensuite dans une juridiction
différente de celle du juge d’instruction, soit - selon les matières et, en
particulier, selon la gravité des peines encourues – le Tribunal pénal (constituée
d’un seul magistrat),
Le jugement est alors rendu et les parties, l’accusation
tout comme le défense, si elles ne l’estiment pas
conforme, peuvent présenter un recours écrit, qui sera plus tard résolu par une
juridiction supérieure.
Les jugements des procédures orales devant le Tribunal Pénal
font l’objet de recours d’appel résolus par
Les jugements des procès oraux tenus devant le Jury d’une
Cour font l’objet de recours en appel devant le Tribunal Supérieur de Justice
de
Les jugements des procédures orales tenus en première instance
devant
C) UNE NOUVEAUTÉ RÉCENTE : LES
PROCÈS PÉNAUX FILMÉS
La principale nouveauté récemment adoptée dans les
procédures pénales en Espagne est l’obligation de filmage des procès pénaux. Il
n’y a pas très longtemps encore, le déroulement des procédures orales donnait
lieu à un procès-verbal résumé émis par le greffier. Depuis le 4 mai 2010, une
réforme légale impose que chacun des procès soit filmé.
Cette réforme légale a également modifié, du fait de cette
obligation d’enregistrement audiovisuel des procédures orales, la réglementation
du recours d’appel contre les jugements pénaux de première instance.
Le nouveau
texte de l’article 791 de
Cette nouveauté peut être particulièrement
importante dans des cas de relaxe renvoyés en appel par une partie
poursuivante.
Jusqu’à
présent, ces jugements n’étaient révoqués
par le tribunal saisi du recours en appel que dans des cas très particuliers.
Le Tribunal
Constitutionnel espagnol avait en effet établi l’impossibilité pour une
juridiction d’appel n’ayant pas assisté à l’administration des preuves
personnelles lors de la procédure orale, de procéder en seconde instance, à une
évaluation desdites preuves et d’en tirer des conclusions plus défavorables
pour l’accusé que celles de l’organe judiciaire devant lequel avait
effectivement eu lieu la procédure orale de première instance.
Conformément à cette doctrine établie par le Tribunal
Constitutionnel, l’appréciation des preuves personnelles telles que les déclarations des accusés et des témoins,
requiert l’immédiateté de l’organe judiciaire qui va les évaluer. En synthèse, disons
qu’il faut avoir été présent pour pouvoir évaluer. De ce fait, si l’organe
judiciaire compétent lors du procès oral rend – au terme de l’évaluation
directe de l’ensemble desdites preuves personnelles – une relaxe, ce jugement
ne pourrait être revu par une juridiction d’appel dans le but de le transformer
en jugement condamnatoire.
La révocation
d’une relaxe n’était admissible pour le Tribunal Constitutionnel que dans trois
cas :
a) lorsque
les preuves évaluées étaient des preuves documentaires qui, de par leur nature
objective, ne requéraient pas d’être administrées en présence d’une juridiction
de seconde instance
b) lorsque
l’accusé lui-même avait reconnu les faits
c) lorsque
la relaxe était fondée sur des motifs juridiques et que, sans modifier les faits
prouvés du jugement, il s’avérait possible, partant d’une interprétation
juridique différente des règles à appliquer, de la changer en
condamnation ; c’est par exemple le cas lorsque la discussion juridique
porte sur l’existence éventuelle d’une prescription du délit commis
Cette
doctrine du Tribunal Constitutionnel espagnol est établie par le jugement 167/2002 du 18 novembre qui affirme que, par
respect pour les principes d’immédiateté et de contradiction qui régissent la
procédure pénale, lorsque les preuves personnelles ne sont pas administrées
directement en présence de la juridiction d’appel lors du recours, cette
dernière ne peut revoir les preuves personnelles administrées par le tribunal
de première instance et révoquer, au motif d’une évaluation différente, la
relaxe initiale contenue dans le jugement mis en cause.
Cela devait être mis en rapport avec les trois seules hypothèses
établies par l’article 790.3 de
1. les
preuves n’ont pas pu être proposées en première instance parce que les parties
au procès n’en connaissaient par exemple pas encore l’existence
2. les
preuves ont été proposées par les parties mais indûment refusées par l’organe
judiciaire et une plainte a donc été présentée
3. les
preuves ont été proposées par les parties, et admises par l’organe judiciaire,
mais elles n’ont pas pu être effectivement administrées
Dans l’ensemble, cette réglementation, associée à la
doctrine constitutionnelle exposée plus haut, empêchait la révocation en appel
des relaxes fondées sur l’évaluation des preuves à caractère personnel par le
tribunal de première instance.
Aujourd’hui,
après la modification évoquée de l’article 791, la question qui se pose est de
savoir si la reproduction d’un enregistrement de preuve administrée en première
instance va permettre au tribunal d’appel de revoir la relaxe rendue, puisqu’il
aura pu voir et entendre et par conséquent apprécier, les déclarations des
parties et des témoins comparus dans le cadre de la procédure orale. Certains
estiment que la projection de l’enregistrement satisfait aux exigences de la
doctrine du Tribunal Constitutionnel d’immédiateté du tribunal dans
l’administration de la preuve personnelle (en réalité dans ce cas, au travers
de la reproduction ultérieure du film) et permet donc d’apprécier cette
dernière dans un sens différent de celui du jugement faisant l’objet du
recours.
Il faut pourtant remarquer qu’à l’époque où le texte de loi antérieur
à la réforme était encore en vigueur, le Tribunal Constitutionnel rendait un
autre jugement extrêmement intéressant.
Le
Jugement du Tribunal Constitutionnel 120/2009 du 18 mai affirme dans sa décision :
“la question
capitale soumise au critère de ce Tribunal consiste à élucider si un Tribunal
d’appel peut – sur la base d’une évaluation des preuves à caractère personnel
divergeant de celle qu’a effectuée le Juge a quo suite au visionnement de
l’enregistrement audiovisuel de la procédure orale – réévaluer un recours
d’appel interjeté par erreur sur l’évaluation de la preuve, établir un nouveau
récit des faits prouvés, et entraîner la condamnation de la personne
initialement acquittée”.
Dans cet esprit, le Tribunal Constitutionnel annule la
condamnation, au motif qu’il doit y avoir, en tout état de cause un
“ examen personnel et direct ” des
personnes comparues, ce qui implique “ la
coïncidence temporelle et spatiale de la personne prêtant déclaration, et de
celle devant laquelle celle-ci déclare ; la garantie constitutionnelle
repose en effet autant sur la présence de la personne amenée à comparaître
devant l’autorité qui juge, que sur la possibilité pour ce déclarant de
s’adresser à qui va être appelé à se prononcer sur ses manifestations”.
Pour conclure sur ce point, à mon avis, il est, pour le
moins, douteux qu’une éventuelle projection devant la juridiction d’appel de
l’enregistrement d’un procès pénal puisse donner lieu à la révocation d’une
relaxe sur la base d’une évaluation nouvelle et différente des preuves
personnelles effectivement administrées en première instance. Le temps et les
tribunaux en décideront.
D) ÉVENTUELLES RÉFORMES
PROCÉDURALES POUR L’AVENIR
Parmi les idées d’éventuelles réformes procédurales pénales,
j’en évoquerai deux qui font l’objet de débats réitérés ces derniers temps.
La pertinence tout d’abord d’un changement légal qui
attribuerait la phase d’instruction des procédures pénales au ministère public
a été longuement discutée. Ce dernier serait, dans cette hypothèse, amené à
diriger cette étape d’instruction et administrerait les preuves à ce moment là,
sous un certain contrôle du Juge d’Instruction.
En tout
état de cause, les mesures limitant les droits fondamentaux des personnes
(comme la détention provisoire, la mise sur écoute et l’enregistrement par la
police des communications téléphoniques, l’autorisation pour la police de
pénétrer dans le domicile d’une personne et de perquisitionner) resteraient,
comme jusqu’à présent dictées par le Juge d’instruction et non pas par le procureur.
Cette éventuelle réforme rencontre des réticences du fait de
la configuration légale du ministère public, un organe non indépendant du
pouvoir exécutif – contrairement aux juges qui relèvent d’un pouvoir
indépendant -.
La deuxième idée de réforme, instamment réclamée par
l’organisation institutionnelle des avocats espagnols est l’assignation obligatoire d’un avocat pour les femmes
victimes de violence machiste, dès l’instant
où celles-ci portent plainte à la police.
La victime
bénéficie actuellement, 24 heures sur 24, de l’assistance d’un avocat, mais la
présence de ce dernier n’est pas obligatoire avant la formulation de la
plainte. Le Conseil Général des Avocats Espagnols demande que cette règle soit
modifiée et que le contact entre l’avocat et la victime soit établi dès le
premier instant, afin que celle-ci puisse être convenablement et complètement orientée dans la rédaction de
la plainte initiale dont le contenu va avoir une importance énorme tout au long
de la procédure pénale ultérieure.
Sergio
Herrero Alvarez
Avocat
Beyrouth,
le 2 juillet 2010