LES RELATIONS ENTRE
Sergio Herrero Alvarez (Avocat)
Communication au forum “Procés pénal et procés
équitable: etude comparative du systeme libanais et des systémes européens”.
Ordre des Avocats de Beyrouth. Líbano, 2 de julio de 2010
Selon la législation espagnole, les avocats sont des
professionnels qui coopèrent avec l’administration de la justice. Par ailleurs,
les barreaux sont des institutions qui, de par la loi, exercent certaines fonctions
publiques, dont deux notamment : d’une part, exercer l’autorité disciplinaire
sur les avocats ; et d’autre part, organiser et assurer la défense, par
des avocats, de personnes qui, pour des raisons économiques, ne sont pas en
mesure d’en payer un de leur choix, grâce au système des avocats commis
d'office.
Mon intervention s’attache à analyser, tout d’abord, les relations
entre les autorités policières et les barreaux, puis la relation et les éventuelles
difficultés qui en découlent, entre l’avocat qui réalise son travail dans un poste
de police et s’occupe d’une personne placée en garde à vue, et les policiers
qui se chargent d´elle.
A) RELATIONS
INSTITUTIONNELLES DES BARREAUX AVEC LES AUTORITÉS POLICIÈRES
En Espagne, tous les avocats sont obligatoirement
rattachés au barreau local de l’endroit où se trouve leur cabinet. L’Espagne
compte 83 barreaux en tout.
La compétence d’organiser le système de l’avocat commis
d’office incombe à chaque barreau, qui garantit un avocat aux personnes qui
n’ont pas les moyens de le payer. Le système procure un avocat pour assurer la
défense dans le cadre d’une procédure pénale, mais également pour assister une
personne arrêtée par la police.
Chaque barreau dispose généralement, au quotidien, de
plusieurs avocats de garde pour assurer ce service d’assistance aux personnes
placées en garde à vue. Par exemple, le barreau de Gijón, dont je suis le bâtonnier, dispose chaque jour de 4 avocats de garde différents
pour les postes de police locaux. Dans tous les cas, l’organisation du service
est établie par le barreau. Les autorités de police ne s’immiscent pas dans ce
travail et, d’ailleurs, il n’existe pas de conflit à ce niveau.
Le barreau et les autorités policières sont
également en relation, parfois, en raison de plaintes ou de réclamations d’un avocat
contre un policier, et vice-versa. Il s’agit de questions sans gravité, découlant
d’éventuels conflits dans le cadre de la relation entre les deux lorsque
l’avocat assiste un personne placée en garde à vue. Dans ce type de cas, en
général, l’institution qui reçoit la plainte de son membre, c’est-à-dire, le
barreau ou l’autorité de police, en informe l’autre, pour qu’elle mène une enquête
et, le cas échéant, établisse une sanction en cas d’agissement incorrect de l’avocat
ou de la police.
Il se peut que, dans un cas
particulier, la police arrête un avocat, suspecté d’un quelconque délit. Il
n’existe ni règles ni conditions pour cela, autres que celles appliquées au
cours de l’arrestation de n’importe quel autre citoyen. Cependant, il existe
bel et bien une réglementation particulière pour la réalisation d’une perquisition
de police dans le cabinet d’un avocat. Cette perquisition doit être autorisée
par le juge d’instruction, comme pour la perquisition de tout domicile personnel.
De surcroît, le bâtonnier du barreau doit en être préalablement averti, pour
se présenter à ce cabinet, assister à la perquisition, et veiller à ce que le
secret professionnel soit préservé. L’expérience a démontré que les avocats arrêtés
sont fort bien traités et que le bâtonnier est systématiquement averti afin d’assister à ces
perquisitions.
B) L’INTERVENTION
DE L’AVOCAT QUI ASSISTE DES PERSONNES ARRETES DANS UN POSTE DE POLICE
Nous allons maintenant retracer les cas
éventuels de conflit entre un avocat et les fonctionnaires de police lorsque le
premier se voit confier la tâche de porter assistance à un client. Il existe
six causes principales de conflit possible.
Dès le moment de l’arrestation, la
réglementation prévue par l’article 520 du code de procédure pénale est applicable,
de même que les exceptions prévues, pour les cas d’arrestation pour des délits
de terrorisme, par l’article 527 de cette même loi.
1. Une personne est arrêtée. La police
lui communique ses droits et elle choisit une personne à laquelle il désire que
soit notifiée son arrestation. La police procède à cette notification et, ensuite,
ce parent ou cet ami cherche un avocat qui l’assistera au poste de police.
Il faut savoir que bien souvent, la
personne placée en garde à vue elle même, surtout s’il s’agit d’une première
arrestation, ne sera pas en mesure d’indiquer, dans les locaux du poste de
police, le nom d’un avocat et n’aura pas non plus les moyens d’en chercher et
d’en choisir un.
Première question : suffit-il, pour que
l’avocat puisse intervenir, qu’il se mette en relation téléphonique avec le poste
de police, et qu’il dise qu’il a été désigné par ce parent ou par cet ami de la
personne placée en garde à vue?
Au sens strict, ce n’est pas la
personne placée en garde à vue qui a désigné cet avocat, et c’est elle qui
devrait légalement le désigner. La police pourrait donc s’opposer à
l’intervention de cet avocat. Or, ce n’est pas le cas dans la pratique. La
police se limite à communiquer la désignation d’un avocat par sa famille ou par
ses amis afin de l’assister et, sauf si la personne le refuse, l’avocat pourra intervenir
normalement.
2. L’avocat s’est rendu sur le lieu de
l’arrestation, se présente et la police lui communique, sommairement, les faits
desquels son client est suspecté. L’avocat demande à examiner le dossier de
police complet. Celui-ci comprend la plainte, les déclarations effectuées par
les témoins des faits, et les conclusions de police quant à l’auteur et à la
responsabilité au regard des faits.
Deuxième question : l’avocat a-t-il le
droit de lire le dossier ?
Le texte de l’article 520 du Code de
procédure pénale ne prévoit pas ce droit de l’avocat, mais il n’interdit pas
non plus à la police de lui montrer la plainte qui a été déposée ou le procès-verbal
complet. Dans la pratique, ce dernier acte, c’est-à-dire le fait le permettre à
l’avocat de lire le dossier, n’est absolument pas fréquent. En revanche, la
lecture par l’avocat de la plainte deposée est parfois réalisée, suivant le poste de
police concret dans lequel intervient l’avocat.
3. Troisième question : l’avocat
peut-il s’entretenir seul à seul avec son client avant que sa déposition soit
prise ?
Encore une fois,
D’une part, lorsque le détenu est
mineur, c’est-à-dire, s’il est âgé de moins de 18 ans, alors il a effectivement
le droit de parler à son avocat avant d’effectuer sa déposition, comme
l’établit la loi qui régit la responsabilité pénale des mineurs.
D’autre part, lorsque la police désire perquisitionner
le domicile d’une personne, elle a besoin d’obtenir un mandat judiciaire ou le
consentement exprès du titulaire de ce logement. Si ce dernier est placé en
garde à vue, il doit exprimer son consentement en présence d’un avocat. À cet
effet, il est effectivement habituel que la police lui permette de s’entretenir
préalablement avec son avocat pour qu´il le conseille quant au caractère
opportun éventuel de donner son consentement en vue de la perquisition. À
défaut d’entretien préalable et de conseil de l’avocat, il est plus difficile que
la personne placée en garde à vue donne son consentement. Ce consentement évite
justement à la police de devoir faire appel à l’autorité judiciaire pour obtenir
le mandat de perquisition, et facilite, en somme, le travail de police. Bien
évidemment, l’obtention de ce mandat judiciaire sera indispensable à la police si
la personne et son avocat décident de ne pas consentir volontairement à ce que
l’on entre dans le domicile.
4. Commence alors la déposition. En présence
de son avocat, la personne est à nouveau informée de ses droits (puisqu’elle en
avait déjà été initialement informée au moment de son arrestation). Elle peut,
notamment, ne pas effectuer de déposition au poste de police, si elle ne le
souhaite pas. Alors, elle demande conseil à son avocat.
Quatrième question : l’avocat peut-il
recommander à son client détenu d’effectuer ou non une déposition auprès des
forces de police ?
Encore une fois, la loi n’est pas
claire : elle n’oblige pas l’avocat à garder le silence, mais elle ne lui octroie
pas expressément la faculté de conseiller son client avant l’entretien privé qu’ils
auront après avoir effectué la déposition.
Cependant, il existe deux arrêts importants
du Tribunal Suprême espagnol, celui du 18 décembre 1997 et celui du 5 novembre
2001, qui indiquent textuellement ceci :
« le droit de la personne placée
en garde à vue d’être assistée par un avocat vise à assurer (en présence de
l’avocat) que ses droits constitutionnels sont respectés ; qu’elle ne subit
pas de pression ou de traitement incompatible avec sa dignité et avec sa liberté
de déposition ; et qu’elle bénéficie des conseils techniques opportuns quant
à la ligne de conduite à suivre au cours des interrogatoires, y compris celle
de garder le silence, ainsi qu’a propos de son droit de vérifier, au terme de
sa déposition et en présence active de l’avocat, la fidélité des retranscriptions
du procès-verbal de déposition qui lui est présenté en vue de sa
signature ».
Nous pouvons donc affirmer que l’avocat
peut recommander à son client de s’abstenir d’effectuer la déposition au poste
de police. Néanmoins, l’exercice effectif de cette capacité de conseil de
l’avocat génère fréquemment, dans la pratique, des tensions avec la police.
5. La personne placée en garde à vue effectue
sa déposition. Elle répond aux questions posées par la police, les unes après
les autres, jusqu’à la fin. C’est alors au tour de l’avocat d’intervenir.
Cinquième question : comment l’avocat
peut-il exactement intervenir au cours de la déposition ?
À ce stade, il n’y a généralement pas
de problèmes pratiques. L’avocat pose librement les questions qu’il juge pertinentes.
Il peut lui-même également faire observer tout incident anormal ou spécial survenu
au cours de la déposition. De plus, il vérifie la fidélité de la retranscription
rédigée par la police du contenu des questions posées et des réponses apportées.
Enfin, il signe la déposition avec son client.
6. La déposition est terminée. L’avocat
désire s’entretenir seul à seul avec son client. Il a le droit de le faire, que
la personne ait choisi ou non d’effectuer sa déposition.
Sixième question : où cet entretien
avec le client a-t-il lieu ? Seul à seul, dans une pièce fermée ?
La loi n’utilise pas l’expression d’entretien
seul à seul, mais plutôt « d’entretien réservé », ce qui est normalement
interprété comme une conversation de l’avocat avec son client ne pouvant pas
être écoutée par la police.
Autrement dit : la police peut observer l’entretien mais
ne peut pas l’écouter. Cette observation est justifiée par les impératifs de
sécurité durant la garde à vue par la police.
Dans la pratique, l’entretien est généralement réalisé
dans un genre de parloir ou de salle vitrée dans lequel ou dans laquelle
l’avocat et son client se réunissent et entament une conversation et depuis
l’extérieur duquel ou de laquelle les fonctionnaires de police observent la
scène, sans pouvoir l’écouter. Il s’agit de la solution habituelle pour
concilier confidentialité professionnelle de l’avocat et surveillance permanente
par la police de la personne placée en garde à vue.
L’intervention de l’avocat au Commissariat
de police est terminée. Ensuite, il devra poursuivre son travail auprès du
tribunal d’instruction, mais, comme le disait le refrain, cela c’est une autre histoire.
ANNEXES :
CODE DE
PROCÉDURE PÉNALE
ARTICLE 520
: DROITS DE
1. L’arrestation et la mise
en prison provisoire doivent être réalisées de façon à porter préjudice le
moins possible, que ce soit du point de vue de la personne, de sa réputation ou
de son patrimoine.
La mise en garde à vue
d´une personne ne pourra pas se prolonger plus que le temps nécessaire pour
effectuer les vérifications visant à établir les faits. Dans les délais prévus
par la présente loi et, dans tous les cas, dans un délai maximal de soixante-douze
heures, elle devra être remise en liberté ou à la disposition de la justice.
2. Toute personne arrêtée
ou emprisonnée sera tenue informée, de façon compréhensible pour elle et
immédiatement, des faits qui lui sont reprochés et des raisons qui donnent lieu
à sa privation de liberté, ainsi que de ses droits, et notamment les suivants :
a) Le
droit de garder le silence et de ne pas effectuer de déposition si elle ne le
souhaite pas, de ne pas répondre à certaines des questions qui lui sont posées,
ou de déclarer qu’elle n’effectuera sa déposition que devant le juge.
b) Le
droit de ne pas effectuer de déposition contre elle-même et de ne pas se
déclarer coupable.
c) Le droit
de désigner un avocat et de demander sa présence pour qu’il assiste aux démarches
de la police et aux formalités judiciaires de prise de déposition, et qu’il
intervienne dans toute reconnaissance d’identité dont elle pourra faire l’objet.
Si la personne ne désigne pas d’avocat, un avocat commis d’office sera alors désigné.
d) Le droit
de faire notifier sa détention et le lieu de la garde dont elle fait l’objet à
tout moment à un parent ou à toute personne de son choix. Les étrangers auront
droit à ce que les éléments précédents soient communiqués à l’office consulaire
de leur pays.
e) Le droit
d’être assistée gratuitement par un interprète, lorsqu’il s’agit d’une personne
étrangère qui ne comprend pas ou ne parle pas l’espagnol.
f) Le droit
d’être examinée par le médecin légiste ou par son suppléant légal et, à défaut,
par celui de l’institution dans laquelle elle se trouve, ou par tout autre
dépendant de l’État ou d’autres administrations publiques.
3. S’il s’agit d’un mineur ou d’une personne incapable, l’autorité
sous la garde de laquelle il se trouve notifiera les éléments de la section 2.d)
à ceux qui exercent l’autorité parentale, la tutelle ou la garde de fait. Si l’on
ne les trouve pas, le parquet en sera immédiatement tenu informé. Si l´arrêté mineur ou incapable est étranger, son arrestation sera notifiée
d’office au Consul de son pays.
4. L’autorité judiciaire et les fonctionnaires ayant la
garde de la personne s’abstiendront de lui faire des recommandations quant au choix
de l’avocat. Ils informeront le barreau, de manière irréfutable, du nom de
l’avocat choisi par celle-ci en vue de son assistance ou de sa demande qu’il
soit désigné d’office. Le barreau notifiera ce choix à la personne désignée, afin
qu’elle notifie son acceptation ou son renoncement. Si la personne désignée
n’accepte pas son mandat, si l’on ne la trouve pas ou si elle ne comparaît pas,
alors le barreau désignera un avocat commis d’office. L’avocat désigné se
rendra au centre de détention dans les plus brefs délais et, dans tous les cas,
dans un délai maximal de huit heures, à compter du moment de la communication
audit barreau.
Au terme du délai de huit heures à compter du moment où
le barreau a été tenu informé, si aucun avocat ne vient à comparaître sur le
lieu où se trouve la personne placée en mise en garde à vue ou le prisonnier, et ce sans justification, il sera
alors possible de prendre sa déposition ou de procéder à son examen, avec son
consentement, indépendamment des responsabilités engagées en cas de manquement des
avocats désignés à leurs obligations.
5. Cependant, la personne placée en garde à vue ou le prisonnier pourra renoncer à l’assistance
obligatoire d’un avocat, si son arrestation découle de faits susceptibles d’être
répréhensibles, exclusivement, en tant que délits contre la sécurité routière.
6. L’assistance de l’avocat consistera à :
a) Demander,
le cas échéant, que la personne soit tenue informée des droits prévus par l’alinéa
2 de cet article, et que l’on procède à l’examen médical indiqué dans le paragraphe
f).
b) Demander
à l’autorité judiciaire ou au fonctionnaire ayant effectué les démarches dans
le cadre desquelles est intervenu l’avocat, au terme de celles-ci, la déclaration
ou l’éclaircissement des éléments jugés opportuns, ainsi que l’annotation dans
le procès-verbal de tout incident survenu au cours de celles-ci.
c) À
s’entretenir « de façon réservée » avec la personne au terme de la
démarche dans le cadre de laquelle il est intervenu.
ARTICLE 527
: DROITS DES PERSONNES PLACÉES EN GARDE À VUE EN CAS DE SOUPÇONS D’APPARTENANCE
À DES GROUPES TERRORISTES
(RÉSUMÉ)
Lorsqu’une
personne est arrêtée parce qu’elle est suspectée d’appartenir à un groupe terroriste,
l’arrestation donnera lieu à une mise au secret de la
personne placée en garde
à vue. Celle-ci pourra
se prolonger jusqu’à 120 heures avant qu´elle soit mise à la disposition
de la justice.
Dans ce type
de cas, cette personne n’aura pas le droit de faire notifier sa détention à la
personne qu’elle aura désignée, elle n’aura pas non plus le droit de choisir
son avocat (elle sera obligatoirement assisté par un avocat commis d’office), et
ne pourra pas avoir d’entretien réservé avec lui à la fin de sa déposition.
Sergio
Herrero Alvarez
Avocat
Beyrouth,
le 2 juillet 2010